Après l'auberge, Epilogue

Elle baissa la tête, ses cheveux d'argent levés par le vent léger, venant couvrir et cacher son village. Elle était loin. Elle était assez loin. Elle ne pouvait plus, elle n'en pouvait plus.

Au loin, un renard entendit un hurlement, un cri déchirant. Il leva le museau et crut un instant qu'un animal blessé hurlait sa souffrance aux Lune de Kor. Il sauta au bas de son talus, et disparut dans la nuit, tandis que le hurlement s'éteignait. La survie commande les choses les plus simples.. et les plus dramatiques.

Amila pleurait. Les larmes roulaient telles des gouttes d'eau dans une pluie battante, venant maculer le grand col de son mantel. Son cheval s'était arrêté, surpris, au hurlement. Sa maîtresse n'avait pas pour habitude de lui donner tel spectacle, ou bruit, et il en était un peu décontenancé.

Amila pleurait, à en gémir avec une telle douleur que les pierres en garderaient l'écho sur ce chemin oublié. Elle pleurait un choix. Elle pleurait un abandon. Elle pleurait un sacrifice. Elle pleurait sa propre mort.

Elle pleurait son enfant blottie contre elle, plutôt que dormant dans son lit, pour le plaisir doux de la chaleur de sa mère. Elle pleurait le regard de son innocence que rien n'avait jamais touché, ses yeux remplis de détermination et de tellement d'amour et de curiosité. Elle pleurait cette petite fille à la fois si libre et si dépendante d'elle. Elle pleurait ses souvenirs, elle pleurait le sacrifice de l'amour immense, intransigeant et sans partage qui avait guidé sa raison d'être pendant ces dernières sept années.

Elle savait. Elle savait que c'était le choix. Elle l'y avait préparé. Avec amour, avec cruauté, avec froideur, parfois si dure qu'elle en avait effrayé des braves. Elle avait tout fait pour que sa fille soit si forte que rien ne pourrait jamais briser sa liberté.

Mais quel savoir pèse devant la réalité. Son odeur, sa chaleur, sa façon si simple, si exclusive et si pure de l'aimer. Elle ne demandait jamais rien, n'exigeait jamais rien, elle aurait pu aussi bien vivre libre comme le vent, mais elle avait sa mère et rien ne comptait d'autre que de l'aimer... Elle n'attendait de la vie que cela, et du monde que de l'explorer sans attaches.

Elle allait maintenant vivre et grandir, au prix des épreuves qu'elle affronterait sans refuge. Ce qui était atroce est qu'Amila savait qu'elle allait être pareille. Réduite à se battre et gesticuler loin, si loin de son propre refuge. Que deviendrait-elle? Serait-elle toujours la même enfant si innocente et si simplement câline après ça?... Serait-elle adulte, devrait-elle perdre son innocence, pour survivre, et grandir?... Aura-t-elle encore besoin de sa mère? Aura-t-elle encore tellement et autant besoin de son amour?...

Amila sanglotait, sur elle-même, sur ce qu'elle perdait et sacrifiait. Le bonheur avait duré sept années, durant lesquelles son sens à la vie se résumait à son peuple et à sa fille aimée. Cela devait arriver un jour. Mais rien ne vous prépare à ça. Rien ne peut vous donner assez de courage pour le supporter. L'égoïsme d'une mère est la somme de l'amour à son enfant. Et elle l'aimait comme la somme de tout les amours qu'elle n'avait jamais eu et de tout ceux qu'elle avait jamais perdue.

Tethys allait devenir libre, plus qu'elle ne l'avait jamais été. Et plus enchaînée aussi. Piégée à un jeu cruel, où l'on perd, ou on apprend, pas de choix autre.

Amila hurla... au loin, un mot retentit qui sauta de colline à colline avec l'écho....

« je vous maudis! »

Bien plus longtemps après, une voyageuse reprit sa route.
Laissant derrière elle sa propre mort. Le prix pour vivre.