[Background] Isis Al'Malia

Part 1. - "Un chien reste un chien même s'il a une queue en or", proverbe arabe.

Superstition ou fierté, le pourquoi reste flou, mais ce n'est certainement pas sans raison que Khaleb Soukhara nomma sa première fille Isis. Ce n'était un secret pour personne qu'il eut préféré un garçon, pour le seconder plus tard. En politique, il faut être ferme et savoir plier les volontés les plus réticentes. Du moins, c'est ce qu'il estimait.

Mais qu'à cela ne tienne. La lignée Soukhara avait toujours été constituée d'esprit bien trempés, et sa fille n'échapperait pas à cette règle. Il n'était qu'un politicien parmi tant d'autres quand il commença à éduquer la petite Isis. Généralement peu présent à cause de ses responsabilités, il ne fut pas pour autant un papa-poule, préférant au contraire se montrer stricte, voir dur parfois. "Trois choses donnent la mesure de l'homme : la richesse, le pouvoir et l'adversité" répétait-il régulièrement à la fillette. Il s'efforçait d'ailleurs de la placer le plus souvent possible dans des situations la poussant à trouver une solution par ses propres moyens.

On aurait pu y voir un père responsable, avisé, à défaut d'être présent, mais c'était sans compter que rien ne l'intéressait plus que d'améliorer son pouvoir et sa condition sociale. Il n'hésita pas un instant à utiliser sa famille pour servir ses intérêts personnels.

Mais la donne changea lorsqu'Anubis prit le pouvoir. Particulièrement sensible au vent qui change, Khaleb s'arrangea rapidement pour avoir celui-ci dans le dos, le poussant toujours plus vite vers le sommet de l'échelle. Il déménagea bientôt du côté d'Athènes, puis finalement Paris après quelques escales, comme ambassadeur du nouveau régime. Position qui n'était pas pour lui déplaire, car voir les diplomates occidentaux se perdre en ronds de jambes lors de leur rencontre n'avait de cesse de renforcer sa fierté, même si avant tout, c'était envers son "Pharaon" qu'ils s'inclinaient.

Les treizes premières années de sa vie s'écoulèrent donc, rythmées par les absences de son père, l'amour d'une mère tout aussi délaissée qu'elle et les fréquents voyages. Son père leur donnait des moyens... Trop de moyens... Mais comme le dit si bien un proverbe du désert : Le trop de quelque chose est un manque de quelque chose...

Part 2. - "Quand le lion saigne, les chacals reprennent courage", proverbe arabe

Dix années de troubles économiques et politiques s'avérèrent profitable pour Khaleb. Habile tacticien, il arriva rapidement à asseoir sa position au sein de l'appareil politique de la Nouvelle Egypte. Il ne pouvait briguer de poste de très haute importance auprès d'Anubis, qui les réservait à d'autres, mais parvint à s'imposer comme un ambassadeur talentueux. Cette position de représentant de la nation la plus influente de l'époque lui convenait parfaitement.

Sa famille le suivait partout dans ses déplacements, et Isis n'avait que peu d'amis, car toujours en déménagement. Elle se passionna donc rapidement pour la lecture. Contes, romans, recueils de poèmes, tout était bon pour combler son ennui. Elle gardait d'ailleurs une excellente mémoire de ce qu'elle lisait, un don qui lui facilita énormément l'apprentissage des langues des pays visités le temps d'un mandat.

Puis le régime chût, et Anubis fut vaincu. Le vent avait tourné, mais n'avait pas pour autant renversé Khaleb. Par d'habiles négociations, il parvint à garder sa place d'ambassadeur à Paris, pour le nouveau régime qui se mettait en place, se fondant dans le schéma politique naissant pour coller au mieux à l'image que l'Egypte voulait donner d'elle. On imputa cette réussite à l'aide de mystérieux alliés qui lui permirent de réussir ce tour de force. Certainement lui-même avait-il gardé quelques as dans sa manche...

Part 3. - "Quand les ailes poussent à la fourmi, c'est pour sa perte", proverbe arabe

Tout ce qui monte finit toujours par redescendre. Après dix années de règne, Anubis fut éliminé, et les états retrouvèrent leur indépendance, se relevant tant bien que mal de cette décénie de tyranie. Certains mieux que d'autres. Ce fut pareil pour leurs citoyens, et la famille Soukhara n'eut pas à se plaindre de ce revirement. Khaleb garda donc sa place à Paris après quelques pirouettes et continua son ascension politique. Cette fois-ci, il ne s'arrêterait pas à cette simple place de diplomate. Il se serait bien vu prétendre au futur titre présidentiel. Peut-être pas maintenant, mais dans les années à venir...

La suprématie Egyptienne avait disparue, mais les esprits n'en étaient pas pour autant remis en Europe, et cela finit par se manifester. Quelques actes de mécontentement au début, puis les choses évoluèrent doucement vers l'expression d'une haine trop longtemps retenue de certains groupuscules. C'est ainsi que les Soukhara allaient être durement touché pendant cette période de crise. Les experts médico-légals déterminèrent qu'une charge artisanale équivalente à deux pains de C4, dissimulée sous le chassis, avait finit par emporter le véhicule blindé de l'ambassade, faisant deux victimes : Sahlia Soukhara Al'Malia, la femme de l'ambassadeur, ainsi que le chauffeur du véhicule. L'attentat aurait dû faire une troisième victime, mais un miracle sauva la jeune Isis. Le souffle de l'explosion projeta la jeune adolescente loin des flammes, pendant que le véhicule s'élevait dans les airs, arrachant une bonne partie de l'allée de graviers devant l'ambassade. Officiellement, le réseau électrique fut touché par la charge et les disjoncteurs sautèrent sur tout le pâté de maison, créant une vent de panique dans le quartier. Officieusement, le souffle avait bel et bien projeté Isis loin de l'explosion, mais elle atterrit droit dans la borne électrique extérieure de l'ambassade. Elle aurait dû s'écraser dans le panneau de commande et griller dans les débris, mais l'instant parut propice à sa mutation pour s'éveiller. Une bulle d'électricité statique apparut autours d'elle, créant ainsi un bouclier protecteur. La surcharge fut telle que toutes les maisons alentours furent soudainement plongées dans le noir. Quand les secours arrivèrent, il découvrèrent Isis allongée sur le sol, à demi-consciente, avec une clavicule cassée pour seule blessure notable. Seul l'employé d'EDF présent sur le moment pour réparation put cependant transporter la jeune fille. Elle ne souffrait aucunement de traumatismes liés au courant qui avait du transiter par elle, mais était devenue complètement intouchable. L'ambulancier qui se pencha en premier sur elle constata rapidement que son corps était hautement chargé en électricité. On pensa d'abord à un résidus statique, mais il s'avéra rapidement que cet effet serait premanent. Des tests confirmèrent les craintes de Khaleb : sa fille était une super, une mutante.

L'ambassadeur ne s'en laissa pas démonter pour autant. Après quelques semaines de deuil ou sa photo et celle de sa fille faisaient la une des magazines à sensation, Khaleb utilisa cet attentat contre sa famille comme outils de campagne pour s'attirer la sympathie des gens. Lui aussi était une victime de l'ancien régime, sa fille miraculée l'était aussi. Victimes d'une haine qui n'avait plus de raison d'être et qu'ils n'avaient jamais attisée, subissant la barbarie de quelques enragés racistes et nationalistes. Son discours était fort, tout comme l'image qu'il donnait de lui et de sa fille, lorsqu'il la présentait avec lui, en père aimant. Personne ne fit visiblement attention aux gants qu'elle semblait porter en permanence, trop occupés à s'émouvoir de sa tristesse et de la bénédiction qu'elle semblait avoir reçu d'Allah, selon son père. D'autres menaces furent cependant dirigées contre l'ambassade d'Egypte, et Khaleb décida finalement d'accepter un autre poste à Washington. D'après ses renseignements, on saurait très bien s'occuper d'Isis là-bas, pour qu'il puisse se décharger de ce poids qui risquait d'entacher sa carrière...

Part 4. - "Ne dis pas tes peines à autrui ; l'épervier et le vautour s'abattent sur le blessé qui gémit", proverbe arabe

Plusieurs mois s'écoulèrent avant qu'Isis ne soit admise à l'école Da Vinci. Non pas que sa candidature ait posé problème, mais l'adolescente, alors tout juste agée de dix-huit ans, refusait catégoriquement de s'y rendre. Les années depuis la mort de sa mère furent difficiles pour elle, mais aussi pour son père, qui ne parvenait plus à contrôler sa fille. Ses crises de colère pouvaient prendre des proportions alarmantes, et certains agents de sécurité de l'ambassade en firent parfois les frais. Mais malgré tout, Khaleb arrivait toujours tôt ou tard à la calmer, mais à grands renforts de cris et de menaces. Dotée ou non de pouvoirs hors du commun, Isis gardait une certaine crainte de son père.

L'adolescente fut donc conduite dans l'enceinte de l'école Da Vinci, non sans une dernière dispute avec son père, qui lui avait valu une giffle retentissante lorsqu'elle lui avait craché au visage une insulte en arabe mêlant joyeusement une histoire de charognard et de chacal. Heureusement pour elle, la décharge qu'il avait reçu en retour lui évita d'en ramasser le revers. C'est donc avec la plus franche mauvaise volonté qu'elle passa le seuil de l'établissement, son chauffeur portant deux sacs de sport contenant ses affaires.

Au chaleureux accueil que lui offrit la directrice de l'établissement, Jessica Xavier, elle répondit avec froideur, semblant visiblement vouloir bien faire comprendre à son hôte qu'elle n'avait nullement décidé d'être ici. On lui fit cependant faire le tour du campus, lui expliquant les règles établies et le fonctionnement de l'école. La jeune femme pu rapidement se rendre compte qu'à chaque énoncé de règlement, Isis semblait déjà chercher le moyen de l'enfreindre suffisamment bien pour se retrouver expulsée. Mais elle n'eut pas à fouiller longtemps pour savoir que la jeune adolescente ne mettrait pas ses pensées à exécution.

Au contraire, elle passa ses premiers jours dans l'enceinte du campus, à l'écart, dans sa chambre ou devant la télévision. Elle refusait catégoriquement de se mêler aux autres étudiants, et partait d'une colère noir quand certains insistaient trop. Ce qui coûta d'ailleurs un écran et cinq ampoules à l'école, avant que le professeur Bishop n'intervienne pour la calmer, ce qu'il fit visiblement avec brio. Il fallait avouer que la carrure de celui-ci avait de quoi impressionner la jeune adolescente, d'autant plus que ses pouvoirs ne fonctionnaient plus en sa présence. Se sentir si démunie soudainement calma efficacement ses ardeurs.

S'en suivit une discussion dans le bureau de Jessica, durant laquelle Isis s'attendait à se faire réprimander lourdement. La douceur et la diplomatie dont fit preuve la directrice étonnèrent l'adolescente, qui pourtant en connaissait un rayon dans le domaine. La jeune femme proposa évidemment son aide à son invitée qui, engoncée dans sa fierté, refusa vivement. Jessica n'insista pas, mais duper une télépathe était loin d'être la chose la plus aisée. Elle savait pertinemment que cette façade s'effondrait tous les soirs derrière la porte de sa chambre... Et ruisselait doucement sur son oreiller...

Part 5. - "Les larmes sont à l'âme ce que le savon est au corps", proverbe hébreux

L'année scolaire passa au rythme des cours, qu'Isis fréquentait régulièrement. Pendant plusieurs semaines, il était relativement facile de la trouver, toujours dans un des coins, tout au fond de la pièce. Elle participait aux leçons, mais ses interactions en classe s'arrêtaient là.

Puis, peu à peu, l'endroit commença visiblement à lui sembler plus familier, plus accueillant. Sans réellement se mêler aux étudiants, il était de plus en plus fréquent de la trouver dans les salons à regarder la télévision, assise dans un fauteuil, sans pour autant prendre part aux conversations. Certains la pensait finalement juste un peu timide, mais en fait, c'était la fierté d'Isis qui commençait à fondre doucement. L'adolescente n'en pouvait visiblement plus de rester dans son coin et toutes ces semaines lui avait permis de jauger un peu les habitants du campus. Si bien qu'elle finit lentement par s'intégrer, lentement mais sûrement, parmi certains groupes d'adolescents.

Jessica Xavier observait attentivement les changements de comportement d'Isis, mais n'intervint que rarement. Cependant, elle savait pertinemment que l'adolescente se méfiait de ses silences et de ses sourires. Et chaque fois elle se braquait légèrement quand la directrice lui adressait la parole. Le mur de fierté s'effritait peut-être doucement, mais certains conditionnement demeuraient malgré tout, et Isis refusait de se dévoiler à Jessica, même si, de par son pouvoir, c'était certainement déjà le cas.

Isis entretint une relative bonne entente avec plus ou moins tout le monde, participant parfois aux conversations ou aux jeux des autres étudiants. Quelques altercations furent à déplorer de temps à autres, mais rien de particulièrement grave, même si parfois, certains eurent de très mauvaises surprises. Elle essayait cependant au maximum de disparaitre avant que le professeur Bishop ne vienne demander des comptes. Elle n'aimait décidément pas se sentir vulnérable face à lui.

La fleur continuait timidement de s'ouvrir. Isis n'avait quasiment pas de contact avec son père, et les refusaient la plupart du temps. Sa méfiance diminuait peu à peu envers le corps professoral, même s'il était clair dans son esprit qu'elle ne se confierait pas. Sorties, shopping, fêtes, parfois beuveries, Isis semblait presque devenir quelqu'un de normal pour son âge. Puis vint l'idée d'Amerigo, un des étudiants de l'école, de vouloir la séduire. C'était sans compter sa susceptibilité et son caractère colérique. A force d'insistance, il finit par se retrouver avec une main non gantée en travers de la figure, ce qui lui valut d'avoir grande peine à articuler pendant plusieurs heures. Ce petit incident sans gravité marqua cependant son esprit. Sa mutation lui refuserait tout contact physique, et par conséquent, toute vraie relation sentimentale. Les pétales se refermèrent légèrement...

Les jours s'écoulèrent à nouveau, alternant les hauts et les bas, jusqu'à ce fameux soir de fête où Peter, un des étudiants, sortit du bar où ils trinquaient, clamant à qui voulait l'entendre qu'un type brûlait dehors... Sans que cela ne le dérange...