à l'auberge

La diplomate, régente, et voyageuse, avait l'air ce soir moins noble que dépenaillée, vêtue d'une tunique et de bottines, et d'un leger manteau doublé de soie. La richesse et le luxe y étaient encore attachés, mais un peu comme une vieille habitude qu'une façon de paraître.
Amila était crevée, n'avait pas fait de toilette depuis plus de trente heures, et elle allait faire passer la nausée provoqué par l'abus des drogues à coup de bière coupée d'eau.

Elle vint le plus naturellement du monde s'affaler, le mot était judicieux, sur la pierre froide qui servait de fauteuil à Aelyn, et se versa un premier verre de son pichet, qu'elle avala d'une traite, à la manière du premier soulard de comptoir.

Un soupire, puis elle tourna la tête vers la jeune fille, son regard dans la nuit devenu couleur de prune, aux reflets de rubis, et elle souria, douce.

- Tu ne dors pas?... Votre journée va être longue, demain...

*La voyageuse repose son regard sur le lointain, comme si elle cherchait à voir ce que les ombres cachaient dans ce paysage en sombres teintes.

J'ai l'habitude de dormir peu... ou pas du tout... Ca dépend si la nuit me laisse ce répis...

*Elle a toujours en main ce pendentif, qui se balance doucement au bout de sa main.

Amila bailla, et oublia sans réellement le réaliser, des politesses comme cacher sa bouche derrière sa main. La nausée montait doucement, et sans d'autres herbes, à des semaines de voyage d'ici, au château, elle n'avait que les bonnes vieilles méthodes pour laisser les toxines s'évacuer... dans un sens ou dans l'autre.
Trente heures sans presque de sommeil. Elle en souria, pensive, écoutant Aelyn. Elle n'était pas si rouillée à force de fréquenter les cours et les salons.

- Tethys dort peu, elle aussi, mais sûrement pas pour les mêmes raisons que toi. Je ne dors jamais beaucoup non plus... même sans doutes pour des raisons qui te ressemblent un peu plus... La nuit n'a rien de cruelle. Nos rêves, si...

Il y a des moments, des périodes... comme actuellement... où je redoute même d'aller me coucher... Pour subir à nouveau ces cauchemars... Ou m'accabler de nouvelles visions...

*Elle passe une main dans ses cheveux pour les repousser derrière son oreille, du côté d'Amila, laissant cette fois-ci apercevoir les reflets sombre de la cicatrice ornant sa joue. Pas plus grande qu'une pièce de monnaie, aux contours assez flous, les traces d'une chevalière probablement*

J'ai vu la fin de ce monde... Comment vont évoluer les choses... Comment va finir la compagnie... Du moins... certains d'entre eux... Et je serais la... impuissante devant tout cela... Et j'ai... visiblement... ma part de responsabilité la dedans...

Amila regarde la cicatrice, les yeux sang, rubis et bordeau changeant de nuance en fonction des jeux des Lunes de Kor sur la nuit qui les baigne. Son regard est délavé, et cerné, et elle ne cache pas la moue qu'elle fait à voir la marque qui affecte le visage de la jeune femme.

- Celui qui a fait ça mériterait un de mes poignards en travers du nez, pour lui offrir le même genre de plaisir quand il doit se raser le matin... Si c'est un homme.
Tu as un joli visage, rassure-toi, et il l'est même avec ça.

Amila pose son gobelet, et pose la paume de sa main sur la joue, et la cicatrice, ses doigts venant se perdre aux cheveux de la jeune voyageuse.

- Je ne sais rien de vous, ni de l'étoile. Je ne sais rien de tes visions, ou de ta peur de la fin du monde, de la fin des tiens, de la fin des nôtres. De celle aussi alors de mon enfant. Je ne sais rien non plus de ta vie, ou ton passé.
Je sais juste que vous êtes tous dans une situation sans repos. Et que tu es terrifiée.
Je sais enfin une chose, la seule chose qui compte: toute vie s'arrête un jour. Nous devons courir et nous battre tant que nous avons un souffle pour chaque once de bonheur qu'on glane, avant que tout s'arrête. Et on a que le choix de décider de comment nous battre pour ça, car ce son nos combats qui nous choisissent.

Amila souria, plus tendrement, lasse, et douce, le masque hautain parti bien loin, maintenant.

- Il est possible que tout ce que tu vois arrive. Mais il est sûr que si cela arrive, tu devra y assister. Alors, quel choix, à part te battre pour que jamais ça ne finisse ainsi?

Un soupire.

- Ma propre vie est dictée par des choix hasardeux. Je suis ce que je suis parce que la vie m'y a amené, sans que je puisse choisir ce que je suis. J'ai choisis, seulement, comment je suis ce que je suis. Nous sommes tous réduits à cela. Le courage n'est pas d'ignorer la peur. Le courage c'est d'avoir peur à en crever, mais de se battre quand même...

*La voyageuse ne bouge pas quand la main de la diplomate glisse sur sa joue, fermant cependant presque imperceptiblement les yeux.

C'est à l'assassin de ma mère que je dois ca... Un souvenir qu'il m'a laissé du jour où je l'ai retrouvée... baignant dans son sang, égorgée comme un chien dans une ruelle....

*Elle le dit d'une voix neutre, presque détaché, même si cela est clairement fait consciemment alors qu'on l'imaginerai presque serrer les dents. Elle finit cependant par se détendre un peu après quelques instants, le contact de la main d'Amila semblant l'apaiser quelque peu.

J'ai envie de croire que les choses peuvent changer... Même si plus j'avance, plus on me prouve le contraire... Mais de toute façon... Que me reste-t-il... Je n'ai que la Compagnie... Et Amura... Lui aussi est comme votre fille... En plus... "Civilisé" si vous me passez l'expression... De toute façon, si je ne le fais pas pour eux... je peux autant me laisser mourir ici...

Amila pinca les lèvres, fermant les yeux une seconde, après le récit de la mort de la mère de la jeune fille.
Et sa main se fit doucement une caresse, tandis qu'elle croisait le regard d'Aelyn, lui imposant ses yeux aux couleurs changeantes de toutes les nuances du sang.

- Aelyn. Rien n'est jamais prouvé à personne, tant que tu ne sera pas morte. Et on a pas besoin de baigner dans son sang, ou ses entrailles pour mourir. Il suffit de suicider son âme, et même si on parle, si on marche, si on respire, on est déjà mort.
Tout ce qui commence un jour doit finir. Si cela t'es trop horrible, tu peux en finir, soit par la mort, soit par le choix de vivre pour toi-même. Mais si tout ce qui te reste sont les gens de cette Compagnie, alors tu sais pourquoi tu es encore en train de vivre, et pourquoi tu continue à te battre et à gesticuler. Parce que ta vie c'est eux. Tu ne le fais pas pour eux, tu le fais pour toi, car eux, c'est toi. Et toi, pour eux, c'est chacun d'eux aussi. Tu comprend?
Tu peux perdre, tu peux échouer, tu peux mourir, mais tu sais qui tu es et pourquoi tu vis toujours. Et tout ce qui a commencé finit un jour. Y compris cette folie que vous suivez envers et contre tout. Tu vivra. Parce qu'au bout, il y aura une once du bonheur que tu mérite, petite. Et ce bonheur, tu l'aura gagné plus que n'importe qui.

Amila fit juste un geste, se dressa, retirant sa main caressante, et empoigna la jeune fille pour la loger dans ses bras, et l'y serrer comme on ouvre un abri.

- Et même loin de vous, et de ma fille, je vais tout faire pour que tout finisse pour que tu puisse te reposer, et gagner ce à quoi tu as droit: un peu de bonheur, maintenant... Je te le promets...

*Aelyn semble un peu surprise, voir réticente à cette étreinte, mais n'oppose finalement que peu de résistance, se laissant enlacer, sans pour autant se détendre.

Les promesses ne suffisent pas toujours... Malheureusement...

*Elle redresse légèrement la tête et regarde Amila*

Pourquoi faites vous ca ?

Amila trembla. Trop épuisée pour contrôler ses propres instincts et émotions. Les larmes venaient, d'elle-même. Comme toujours. Il y avait peu de monde à les avoir vues, et peu de monde à comprendre. Mais c'était ainsi. Elle attira de nouveau la jeune femme dans ses bras, lovant son visage au creux de son épaule et de ses bras.

Sa voix devint un murmure tandis qu'elle réchauffait la jeune femme.

- Pour la même raison que tu te bats... pour la même raison.

*Aelyn finit par se détendre, refermant la main sur le pendentif, remontant ses bras et ses genoux contre elle, gardant les yeux ouverts. Elle repousse visiblement un souvenir dans un reniflement, serrant légèrement son poing vide.

Amila la garda longtemps... Tant que la jeune voyageuse voulait de sa chaleur et de ses bras. Les mots ne servaient plus à rien. Elle lui offrit une petite once de bonheur, et prit sa part, elle aussi. Après, Aelyn était bien plus forte que bien des soldats, elle choisirait son chemin elle-même. A cette seconde, elle lui donnait juste le droit d'être enfant. Et elle, d'être ce qu'elle était et pourquoi elle vivait. Mère, pour tout ceux qui se sont perdus, et ont tous perdus...
Mère... pour l'être quand elle n'a jamais pu être enfant.

*Aelyn ne bouge pas, semblant se battre fermement contre des réminiscences sans vouloir y céder, se blottissant contre Amila. Elle ne fera pas un geste, tant que la diplomate n'en esquissera pas.

Amila savait très bien que l'épuisement arrivait, et la faiblesse qu'elle laissait échapper sans plus la retenir était une bonne raison pour la fatigue d'achever de la vaincre. Mais Aelyn demandait quelque chose qu'elle savait donner, et qu'elle voulait donner. Elle intima à sa fatigue l'ordre péremptoire d'aller se faire foutre encore un petit moment...

- Nous faisons tous des promesses. Nous ne les tenons pas toujours. Nous pouvons juste y croire et essayer tant qu'on a un peu de souffle. Je te promets de tout faire pour que tu puisse un jour enfin te reposer, toi, et aussi les tiens...

Sa voix était un souffle, et elle savait que la jeune femme avait senti l'humidité de ses larmes, dont elle ne dirait pas l'origine. Elle s'installa un peu mieux, et guida Aelyn à venir se reposer et s'abandonner à ses bras, et laissa le temps couler... peut-être qu'ainsi la jeune femme pourrait dormir, un peu... ou peut-être elle-même finirait-elle par céder, mais qu'importait les futurs?... Il n'y avait d'important que ce moment...

Le voyageur avait laissé ses amis quitter un à un l'auberge, abandonnant l'étranger à sa table et sans autre réponse qu'un oui à sa première question : Lui feraient-ils confiance ? Il s'étira pour détendre son corps endolori par l'inaction de la soirée et adressa un signe de tête à leur hôte avant de quitter à son tour l'auberge.

"Vous avez obtenu notre confiance pour le reste il vous faudra attendre"

Une fois à l'extérieur, Eïm inspira longuement et partit se dégourdir un peu, laissant ses compagnons à leur réflexion et leurs doutes. Sa promenade nocturne l'amena à quelques mètres de l'auberge à côté d'une ancienne bâtisse dont il ne restait plus qu'un vieux mur en ruine. Il s'y installa, le regard tourné en direction de l'auberge, veillant à ce que rien ne puisse troubler le repos de ses amis qui en avaient bien besoin après les derniers événements.